Brevetabilité des inventions biotechnologiques! Danger!

Une étape importante de l’offensive contre la gratuité de la nature a été franchie en novembre 2005 avec le vote unanime de l’Assemblée Nationale (sauf le groupe communiste) transposant la Directive Européenne 98/44 de soi disant (encore) “brevetabilité des inventions biotechnologiques”. Voici le texte de la lettre adressée, par mail, à tous et toutes les Députéqui disposent, à trois exceptions près d'une adresse électronique, en utilisant le site de l'Assemblée nationale.

Madame le Député, Monsieur le Député, Je me permets de vous adresser ce texte inspiré d’une lettre plus détaillée de Jean-Pierre Berlan, Directeur de Recherche à l’INRA, au Député de sa circonscription. (Salon de Provence). Une étape importante de l’offensive contre la gratuité de la nature a été franchie en novembre 2005 avec le vote unanime de l’Assemblée Nationale (sauf le groupe communiste) transposant la Directive Européenne 98/44 de soi disant (encore) “brevetabilité des inventions biotechnologiques”.

Cette transposition ouvre la voie au brevet des découvertes, une novation inouïe dans le droit de brevet, puisque les séquences génétiques (des gènes) sont brevetables en l’état (article 5 de la directive). De plus, cette directive dont la négociation a commencé en 1985 était, dès 1998, totalement dépassée du point de vue scientifique. En effet, elle est fondée sur deux hypothèses de F. Crick datant de 1958: a) la séquence des nucléotides sur l’ADN détermine celle des acides aminés des protéines (un gène donne une protéine et une seule) et b) l’impossibilité du retour en arrière : une fois l’information génétique passée dans les protéines, elle ne peut faire retour. Ces hypothèses ont ouvert la voie au décryptage du code génétique, un des plus formidable succès du XXè siècle. Et puisqu’on savait précisément ce qu’était un gène et ce qu’il faisait, le vivant devenait un meccano dont on pouvait breveter les pièces. La tâche des biologistes n’était plus de penser, mais de mettre au point les méthodes permettant de décrypter l’ADN (la génomique), cette molécule miracle dont tout dépendait, pour industrialiser le vivant. Comme c’est toujours le cas en science, les idées de Crick ont été difficilement remises en cause. Dès la fin des années 1980, tout biologiste compétent non acoquiné avec les entreprises de biotechs (malheureusement, il y en avait peu) savait que ce modèle mécanique si simple (“Trop beau pour ne pas être vrai” selon les termes de James Watson, co-découvreur avec Crick de la double hélice) n’était plus valable. La démonstration finale est venue en 2000 avec l’annonce du soi disant décryptage du génome humain. Cette formidable opération de propagande a tenté d’occulter le résultat paradoxal de ce programme pharaonique entrepris sur la base des hypothèses de Crick : l’espèce humaine a moins de 30 000 gènes et 3 à 10 fois plus de protéines. En d’autres termes, les fondements scientifiques des biotechnologies sont détruits. Donc, à l’heure actuelle, on ne sait plus ce qu’est un gène ni ce qu’il fait. Mais on le brevète !, Autre étonnement : __pourquoi la représentation nationale n’a-t-elle pas soulevé une question préalable simple : le brevet incite-t-il à l’invention et à l’innovation en général ? __Plus précisément, pour des représentants du peuple, la question semble être : incite-t-il à l’invention et à l’innovation socialement utiles ? Les travaux empiriques des économistes montrent que le brevet est plutôt un frein à l’innovation. Les secteurs les plus dynamiques comme par exemple la construction électronique n’ont que peu recours à cette arme. Ce fait ne devrait pas surprendre. Les libéraux du XIXè siècle l’avaient bien compris, eux, qui s’étaient constamment opposés au brevet. Ils avaient compris cette vérité économique première que la concurrence pousse à l’effort et non le monopole, même provisoire.

__Bref, ce texte a été voté sans que ses présupposés fussent examinés. __ __Le gouvernement demande donc aux Assemblées d’adopter la version 1991 de la Convention de l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (U.P.O.V) qui vise notamment à limiter d’abord, puis à interdire, la pratique fondatrice de l’agriculture, semer le grain récolté. __Le 23 février 2006, le Sénat a adopté la proposition de loi correspondante. L’objectif de cette Convention négociée à la fin des années 1950 et signée en 1961 par les 6 pays fondateurs du Marché Commun est d’obliger les établissements multiplicateurs (ceux qui produisent et vendent les semences) à verser une redevance à l’obtenteur pour chaque quintal de semence vendu. Les activités de multiplication et production de semences sont ici distinctes de celle de l’obtention/création. Ce dispositif concerne les plantes qui conservent leurs caractères héréditaires d’une génération à la suivante (blé, orge, soja etc.) c’est-à-dire celles pour lesquelles le grain récolté est génétiquement identique au grain semé.

Cette redevance versée aux sélectionneurs/obtenteurs repose sur un présupposé erroné, à savoir qu’elle sera comme la TVA facturée à l’utilisateur final (l’agriculteur) et payée par lui. Sans entrer dans des considérations de finance publique sur l’incidence de l’impôt, ce raisonnement est absurde du point de vue économique : pourquoi l’agriculteur paierait-il une redevance sur une obtention qu’il produit et reproduit librement dans son champ et dont il dispose à satiété ? Pourquoi un bédouin achèterait-il du sable ? De fait, cette redevance n’est par récupérable. Elle agit comme un impôt sur les bénéfices. Ce qui explique que seules des coopératives se sont lancées (à perte) dans la production de semences commerciales. En 1970, le Parlement a ratifié à l’unanimité la convention de l’UPOV sans analyser l’erreur économique sur laquelle elle reposait.

En 2001, le gouvernement Jospin a introduit un nouveau dispositif qui conduit à lutter contre la gratuité de la nature : les "Cotisations Volontaires Obligatoires" (Pierre Dac n’aurait pas trouvé mieux comme intitulé) pour les producteurs de blé tendre. Que l’agriculteur sème le grain qu’il récolte ou qu’il achète des semences commerciales, il doit maintenant payer une redevance à l’obtenteur ! Le Conseil d’Etat étendra la liste des espèces concernées et mettra en place une commission chargée d’évaluer le prix de cette marchandise nouvelle, le “droit à semer". __A quand une “cotisation volontaire obligatoire” versée à Danone lorsqu’on fait ses yaourts chez soi ? A quand une “cotisation volontaire obligatoire” versée à EDF pour l’énergie solaire ? A quand la création d’un droit à respirer ?__

L’UPOV dans sa version originale satisfaisait les sélectionneurs de l’époque. Il y a une vingtaine d’années en France, l’amélioration/sélection du blé, de l’orge était encore assurée par des sélectionneurs privés - de grosses fermes, dirigées par de grands agronomes passionnés par la plante - travaillant en liaison avec les sélectionneurs/généticiens de l’Inra. Ce système fonctionnait bien. L’Inra était en position de force pour faire respecter ce qu’il jugeait être l’intérêt public. Mais à l’heure où l’industrie des semences est passée sous le contrôle des fabricants d’agrotoxiques, ces derniers n’entendent pas se contenter des profits, somme toute modestes, que la redevance UPOV et la réglementation administrative offrait aux agronomes-sélectionneurs. Les fabricants d’agrotoxiques exigent maintenant d’en finir avec cette injustice de la reproduction gratuite des êtres vivants. Leur but est de le stériliser par un moyen quelconque, administratif, règlementaire, biologique, ou légal. Vous avez certainement entendu parler de la technique emblématique de ces soi disant “sciences de la vie”, Terminator, la production de semences dont la descendance est stérile.

La nouvelle version du traité de l’UPOV, celle de 1991, que le gouvernement vous demande de ratifier, a pour objectif, à terme, d’interdire légalement à l’agriculteur de semer le grain qu’il récolte. L’obtenteur a le droit exclusif de produire, reproduire, conditionner au fins de la reproduction ou de la multiplication, offrir à la vente sous toute autre forme, exporter, importer, détenir à une des fins ci-dessus mentionnées du matériel de reproduction et de multiplication de la variété protégée.

Sous la pression de l’Union Européenne et des lobbies, le gouvernement vous demande donc de stériliser légalement les plantes et de le faire gratuitement pour les fabricants d’agrotoxiques. Il vous demande de les exempter des coûts de la mise au point de techniques biologiques aléatoires de stérilisation comme Terminator ou les méthodes de restriction de l’utilisation des gènes (la fabrication non pas de plantes stériles mais des plantes handicapées!). Il vous demande de séparer la production qui reste entre les mains des agriculteurs-serfs de la reproduction de la reproduction confiée aux fabricants d’agrotoxiques.

__En somme, il vous demande de créer un privilège sur la reproduction des êtres vivants. Contre l’intérêt public, contre celui des agriculteurs. Au nom du libéralisme ! __ Une fois que vous aurez créé ce privilège sur la reproduction des êtres vivants, la prochaine étape, Madame, Monsieur le Député, sera de créer la police génétique pour le faire respecter. C’est le cas en Amérique du Nord, avec les entreprises de détectives privés engagées par Monsanto pour débusquer les éventuels “pirates” . Monsanto offre même aux agriculteurs qui voudraient dénoncer leurs voisins “pirates” une ligne téléphonique gratuite. Bref, en Europe, la police génétique sera-t-elle privée ou publique ? Un jour, c’est le choix que la Commission Européenne et le gouvernement vous demanderont de faire. Est-ce un choix honorable ?

Dans le même temps, la création d’un catalogue alternatif pour les variétés et populations paysannes dites " variétés de conservation " qui les protégeraient de l’expropriation par les fabricants d’agrotoxiques, est au point mort.

__Une société de délation est en gestation. __De vote en vote, de règlement en règlement, de dispositif en dispositif, insensiblement, sans s’en rendre compte, la représentation nationale est aspirée dans une spirale funeste et détestable dont elle ne voudrait à aucun prix si la propagande du cartel des agrotoxiques sur les soi disant Ogm ne la trompait pas. Ce sont tout simplement nos libertés que la cupidité et les tromperies du cartel mettent en danger.

Madame, Monsieur le Député, je vous prie d’intervenir auprès du Président de votre groupe parlementaire pour mettre un coup d’arrêt à ces dérives. Ne confiez pas l’avenir biologique de vos enfants et de la planète aux fabricants d’agrotoxiques !

Veuillez agréer, Madame, Monsieur le Député, l’expression de ma très haute considération.

Jean-Pierre LEROY Principal de collège honoraire Ancien Conseiller général du Nord

Commentaires

1. Le 17/03/2006, 22h45 par Vincent

Y a-t-il eu des réponses de Député(e)s?

2. Le 19/03/2006, 20h49 par LEROY JP

Je peux apporter à Vincent une réponse à sa question.
J'ai reçu, sur plus de cinq cents lettres, une petite dizaine de réponses.
6 simples accusés de réception.
4 remerciements dont deux intentions d'étudier la question.
Du fait que seul le groupe communiste ait voté contre cela fait une forte majorité de députés que ce texte a dû déranger.
Pourtant, il ne devrait pas avoir de honte à reconnaître son erreur! Même pour un Député.

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