CLERICALISME

Le vocabulaire religieux distingue, lui-même, le laïc du clerc. Le laïc ne dispose d’aucune prérogative spécifique dans la représentation officielle de la religion. Quant au clerc, il lui est dévolu un rôle directeur dans l’administration de la foi. Cette distinction est opératoire au sein de la communauté de fidèles en marquant bien la différence entre la simple option religieuse et les fonctions cléricales officielles exercées.

Par extension, le terme « laïc » concerne aussi la personne qui ne partage pas un certain « credo ».

Croyant ou incroyant le « laïc » désigne donc l’homme universel, indépendant des obédiences diverses.

De plus, il est à remarquer que le terme d’origine religieuse a laissé la place à un terme de sens différent quand on a utilisé « laïque » pour parler d’un mouvement d’opinion résolu à émanciper la sphère publique de la tutelle cléricale : on parle ainsi d’Etat laïque, d’école « laïque ».

Le cléricalisme se caractérise non seulement par l’exercice des fonctions cléricales au sein de la communauté des fidèles mais par une ambition de pouvoir temporel sur toute la société.

Est-ce là l'origine du prosélytisme naturel inhérent à toute religion ?

Il est deux modes d’expansion d’une religion, l’un par le témoignage moral et spirituel, l’autre par la conquête d’emprises temporelles.
La religion est bien comme le dit Bayle « une persuasion intime de la conscience» et de ce fait le deuxième mode d’expansion est illégitime.
Les rapports de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel mettent en jeu ceux de la religion et du cléricalisme.

Il s’avère nécessaire de distinguer d’une part religion et spiritualité, religion et cléricalisme d’autre part.

La vie spirituelle ne peut cependant se réduire à la religion même si celle-ci en constitue une part importante. L’esprit vit dans les pratiques multiformes de la vie sociale.
L’art, la science, la philosophie représentent des formes de la vie spirituelle au même titre que la religion.

Si l’esprit réside dans la foi, il vit également dans la pensée rationnelle, l’activité créatrice de l’artiste, dans la culture. La religion n’a pas le monopole de la spiritualité.

Et la notion du pouvoir spirituel ?
On la distingue de celle du pouvoir temporel – séculier, inscrit dans le siècle- pour marquer sa modalité d’existence propre celle d’une autorité morale qui sollicite sans contraindre et ne se développe que dans le respect de la liberté de conscience.

La spiritualité désintéressée cela devrait pouvoir exister.

Auguste Comte, père du positivisme, souligne que tant que le catholicisme est resté un témoignage spirituel moral et désintéressé, il a été utile et bénéfique.

En effet, le pouvoir spirituel joue alors le rôle de mise à distance des intérêts immédiats qui peuvent séparer les hommes.

Mais cette figure noble de spiritualité, libre, dépourvue d’ambitions politiques de domination a été brève dans l’histoire.
Le philosophe chrétien Emmanuel Kant juge accablant le bilan du christianisme historique dans son ouvrage « La religion dans les limites de la simple raison ».
La transformation de la religion en pouvoir temporel constitué et institué, en cléricalisme, a donc largement brouillé la revendication qui fait d’elle une libre démarche spirituelle. La distinction entre religion et cléricalisme apparaît comme essentielle.
Le cléricalisme, ambition temporelle de domination par la captation de la puissance publique ne peut effectivement se confondre avec la religion, croyance unissant des fidèles.

Le cléricalisme va bien au-delà de l’autorité légitime d’un  clergé se tenant dans les limites d’une communauté, il prétend faire la loi pour d’autres.

Sécularisation et laïcisation ne sauraient se confondre.
Mais la distinction est difficile à établir là où la religion s’impose encore comme une référence obligée comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons. La sphère publique ne se réduit pas au seul pouvoir d’Etat, mais inclut le droit qui règle les rapports entre les hommes. En faisant du blasphème un délit on introduit effectivement la reconnaissance d’une confession particulière dans les règles communes. C’est le cas au Royaume-Uni où l’on reconnaît une religion d’Etat.

L’idéal laïque n’entre donc aucunement en contradiction avec les religions en tant que telles mais avec la volonté d’emprise qui caractérise leur dérive cléricale qui n’est autre qu’une conversion politique et sociale du prosélytisme religieux.
Victor Hugo dans un discours contre la loi Falloux qui réaffirmait le contrôle du clergé sur l’enseignement (1850) parlait du « parti clérical » qu’il entendait distinguer de l’Eglise et de la « vraie religion ».
Il ne s’agit donc pas de mettre en cause l’autorité spirituelle et temporelle du clergé au sein de la communauté religieuse concernée. Mais une telle autorité devient illégitime dès que lui est attribué un ascendant de principe sur la communauté humaine. A cet effet, le caractère majoritaire d’une confession dans une société ne lui confère aucun droit ni aucun privilège temporel et la liberté de conscience de la minorité et l’égalité de tous sont respectés.
Il est bien évidemment à distinguer deux régimes d’autorité bien distincts et d’assises différentes.
Définir les principes et les règles de la vie commune d’homme et de femmes restant par ailleurs maîtres de leur sphère privée : c’est un régime d’autorité.
Exercer un magistère dans l’interprétation d’une foi et des doctrines qui lui sont liées : c’est un autre régime d’autorité bien distinct du précédent !
Dans un cas, le dernier, cela concerne des fidèles d’une communauté religieuse particulière, dans l’autre tous les habitants d’un pays croyants ou non croyants.

Le cléricalisme religieux lui confond et subordonne l’un à l’autre les deux régimes d’autorité par une colonisation de la sphère publique accompagnée de violence latente ou affirmé à l’égard de toute personne étrangère au credo officiel.

Très concrètement :
- A-t-on le droit d’être athée, ou protestant ou juif quand le cléricalisme catholique investit la sphère publique ?
- Un citoyen, une citoyenne américains peuvent-ils se reconnaître dans le serment du président américain sur la bible ?
- Un Catholique ou un libre-penseur peut-il éprouver pour lui-même l’égalité de statut de conviction ou de confession si la religion protestante, érigée en religion officielle dans les pays anglicans est imposée comme référence à l’ensemble du corps social.
- Un musulman partisan de l’islam éclairé est-il libre de s’exprimer là où le fondamentalisme intégriste a pris le pouvoir ?
- Une femme musulmane qui souhaite sortir tête nue est-elle libre de le faire au regard d’une interprétation arbitraire du coran ?
- Un athée d’origine juive peut-il disposer comme il l’entend de sa vie privée si des rabbins ultra orthodoxes imposent une mise en tutelle du droit, de l’école et de la mémoire collective ?

Ces questions sont d’actualité quand des fondamentalismes religieux entendent faire un retour aux traditions.

La question du droit des femmes est représentative de tout ce qui se joue en matière de liberté, d’égalité et d’émancipation.
La lapidation pour adultère, la privation d’études, l’ensevelissement du corps sous la « burkha » afghane et le visage et les yeux cachés derrière un grillage de toile voilà quelques-unes des manifestations d’un cléricalisme intégriste.

A ce point, il faut souligner qu’aucun monothéisme ne fut protégé de ces déviances.
L’histoire des « liaisons dangereuses » entre religion et politique est parsemée d’excès :
- 3 000 morts le 11 septembre 2 001 aux Twin Tower
- 3 000 morts dans la nuit du 25 septembre 1572 appelée nuit de la Saint Barthélemy

Dans les deux cas règne une atmosphère messianique avec en filigrane des promesses de paradis, la formulation d’un vœu fanatique de purification et de rédemption collective.

A ce point de l’exposé, il faut souligner une tendance fréquente :
Là où une religion dominante « spirituellement » l’est devenue « officiellement » les autres religions, les autres figures de spiritualité, ont été brimées dans des formes et des degrés variables .

Le retour à la laïcité en éradiquant toute préférence confessionnelle dans la sphère publique assure aux religions, aux convictions philosophiques une liberté et une égalité d’autant plus réelles qu’aucune d’elles ne peut exercer la domination temporelle.
Si les convictions et les confessions exercent une influence sur la conception des lois communes, elles ne peuvent désormais le faire que par une participation au débat public en interpellant les consciences individuelles dans le respect de leur liberté, de leur autonomie de jugement.

Dans un pays laïc, les autorités confessionnelles ne sont pas des acteurs à statut juridique reconnu mais des pôles spirituels que chaque citoyen est libre de reconnaître ou non comme des autorités.
Ni les partis, ni églises, ni les associations formées pour revendiquer des droits bafoués ne sont condamnés à l’inutilité. Tout groupement joue le rôle de pôle de réflexion et d’intervention dans le débat public. Si l’Eglise a le pouvoir de dire publiquement son désaccord voire son hostilité à la « pilule du lendemain » elle n’a pas celui d’exiger à être consultée avant le dépôt du projet de loi.

Il faut aussi ne pas oublier de réintroduire le fait social.
En effet, la tentation est grande d’incomber à la laïcité les désarrois que les fondamentalismes se proposent de prendre en compte. La destruction des droits sociaux en Grande-Bretagne a fait merveille pour les communautés religieuses des banlieues désertées par l’Etat. La violence médiatisée d’une société mercantilisée labellisée par une lancinante incantation des « droits de l’homme » et du « vivre ensemble » alors que la loi du marché conduit à une solitude inexorable.
Non, le désenchantement n’a rien à voir avec la laïcité même s’il est contemporain de son avènement !
L’ultralibéralisme conçoit les droits des individus dans la perspective de la libre initiative, de la « concurrence libre et non faussée », de la rigueur intraitable pour les perdants de l’exclusion consécutive aux délocalisations visant à assurer un maximum de profit à quelques-uns.
Les communautarismes religieux et/ou ethniques et/ou culturels s’y entendent bien pour amalgamer systématiquement les idéaux des Lumières, les libertés politiques, les valeurs de la démocratie et de la citoyenneté avec les ravages de ce que Viviane Forester appelle « l’horreur économique ».

Tout en allant à l’idéal, il nous faut rencontrer les situations concrètes, mais n’oublions pas que les hommes se ressemblent et se rassemblent par leur capacité, leur pouvoir de mise à distance : oui on peut parler de « transcendance laïque ».
Transcendance laïque que l’on pourrait définir comme une solidarité entre la reconnaissance de la liberté individuelle et la promotion de ce qui est commun aux hommes. Egalité, liberté : la laïcité est l’affirmation d’une conception du lien social qui unit les hommes en déliant leur conscience de toute obédience particulière. Liberté de tous et refus de toute discrimination confessionnelle.

N’oublions pas cependant que cet engagement laïque comprend aussi l’obligation d’assurer à chacun les conditions de vie qui lui donnent la puissance d’agir. L’ultralibéralisme économique, lui, a partie liée avec le communautarisme religieux qui fournit le « supplément d’âme » dans l’adversité sociale. Par contre, l’émancipation laïque impose que la société civile ne relègue pas économiquement et socialement celles et ceux qui sont invités à vivre ensemble de façon distancée leur préférence religieuse ou culturelle, en respectant la loi commune.

Si l’émancipation laïque requiert un mode de comportement qui exclut la posture du fanatisme et de l’intolérance, les convictions et les confessions ne sont pas mises à l’abri de toute critique. Mais celles et ceux qui adhèrent doivent être respectés en tant que personne.
On peut critiquer une religion, une figure athée de l’humanisme, les tourner en dérision, en faire la satire tout en respectant le droit de croire : droit fondamental de la personne.
Un chrétien, un musulman, un juif et un agnostique peuvent alors vivre ensemble.
Il est fallacieux d’opposer la liberté d’expression religieuse ou culturelle à la laïcité alors que l’une et l’autre vont rigoureusement de pair.

Commentaires

1. Le 21/12/2008, 16h11 par Antoine

C'est bien de ce mécanisme qu'il faut s'intéresser pour comprendre la mise ne place de la "Laïcité".

Quel génie !

Paradoxalement, le fait d'être seuls en Europe, nous rendraient suspects !

Faut pas charrier et être à ce point maso!

Non, ce n'est pas une violence que de vouloir élargir l'application du concept à toute l'Europe, mais une question de bon sens citoyen!

N'en déplaise aux angéliques!
2. Le 21/12/2008, 16h24 par Charlotte

Ce dont on ne rend pas compte c'est de la pesanteur idéologique du "cléricalisme" à ce point insupportable que ça déclenche une "Révolution"?

La violence même morale ou symbolique appelle la violence!
3. Le 21/12/2008, 18h57 par Fabienne Piniarski

"Ultralibéralisme", capitalisme, ne sont pas à mon sens le véritable aspect du problème, là ou clercs et laïcs échouent à pointer et d'un côté et de l'autre la situation actuelle du monde.

Il faut parler d'ultraconsommation et d'ultraproduction, la production et la consommation étant devenues les seules valeurs capables de régir les rapports humains à notre époque, car quantifiables, impliquant un rapport concret à l'autorité, quelle soit laïque ou religieuse, la notion de "personne humaine" restant encore si confidentielle qu'elle n'est pas assimilée par le citoyen de base dans un monde où la moindre parcelle du corps humain est devenue terrain de l'hyperproduction et de l'hyperconsommation (par exemple les produits dits de "soins corporels" donnés en échantillonnage dans les maternités, dénoncés pour leur nocivité sur la santé des nouveaux-nés), notion de "personne humaine" impliquant une émancipation de l'être humain au regard de l'Autorité...

A ce sujet, voir les 7 premières minutes du film L'Argent Dette II de Paul Grignon à sortir prochainement sur Internet, L'Argent Dette I ayant été déjà visionné par environ deux millions de personnes sur Internet dans le monde : paulgrignon.netfirms.com/...
La version française n'est pas encore disponible, mais il est édifiant de regarder cet échantillon, même si l'on ne maîtrise pas la langue, pour les idées qu'il véhicule et leur aboutissement.

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