Réflexions politiques pour envisager les perspectives d'avenir ... 8/14

"JE N'AIME PAS CE TERME DE MODÈLE SOCIAL." Discours au ministère des Finances, 15 juillet 2015.

Le "modèle social" est représenté par un ensemble d'institutions, de législations qui ont pour but de protéger les Français des aléas de l'existence. Il englobe la Sécurité sociale, le droit du travail, le salaire minimum, les allocations-chômage, les aides sociales et l'accès à l'éducation.
Mais, si l'on en croit Emmanuel Macron, ce modèle ne serait pas adapté à la mondialisation. Pire, en raison de ses rigidités, il empêcherait l'économie d'être plus dynamique; Un discours classique, désormais entendu à gauche comme à droite, qui passe volontairement sous silence le détricotage opéré ces trente dernières années , sans effets positifs sur la croissance. Pourtant, le vainqueur de la présidentielle préconise d'aller encore plus loin dans la casse des acquis sociaux, avec des propositions très proches de celles du MEDEF.

Macron et MEDEF même combat ?

C'est en juillet 2015, au ministère des Finances, qu'Emmanuel Macron développe son projet pour l'avenir. Devant un parterre de fidèles, il s'interroge : "Tout le défi est de savoir comment on amène à faire gagner le France dans la mondialisation. On réussit à porter quelque chose de différent, des valeurs différentes, une culture différente, un rapport géopolitique différent, mais si on reste arc-boutés notre ADN, le monde peut très bien continuer sans nous." Il poursuit : "Comment on invente un nouveau modèle? Comment on reprend l'initiative? " Pour, enfin trouver un responsable à cette succession de questions sans réponse : "Le consensus de 1945 est inadapté."
Avant d'aborder le fond de cette intervention, la forme mérite qu'on s'y arrêtent instant, car elle est illustratrice d'un discours qui court depuis plus de trente ans : des généralisations sentencieuses qui hésitent entre menaces et prophéties sans qu'il en émerge une recommandation de politique à suivre.
Ainsi, la première phrase se veut un appel la différence, à penser autrement. Mais de quelle différence parle-t-on ?Nous n'en saurons rien. Vient ensuite le corollaire d'usage :la France est un pays bloqué, corporatiste et sans imagination.Après ce traditionnel dénigrement de soi, arrive la sentence : Le monde peut très bien continuer sans nous."Il y a donc d'abord un appel à penser autrement...mais pas trop quand même, puisqu'il faut suivre la voie déjà tracée , de la mondialisation. Vient ensuite la charge contre de qui freinerait ce changement et cette adaptation nécessaire à la mondialisation : le modèle social français hérité du consensus de 1945.
Ce discours de 2015 du ministre de l'Économie fait étrangement écho à des propos tenus en 2007 par dénis Kessler, alors vice-président du Medef. La ressemblance est pour le moins frappante. Le numéro 2 de l'organisation patronale avait d'ailleurs donné comme titre à son intervention :"Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde " Challenges n°84 octobre 2007. Un passage de ce texte est demeuré célèbre: celui où, porté par son enthousiasme, l'orateur s'était risqué à dévoiler les transformations à venir. "La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce quia été mis en place en trente 1945 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujoourd'hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance".Une autre citation mérite le détour : " Cette architecture singulière (...) ne permet plus à notre pays de s'adapter aux nouvelles exigences économiques, sociales, internationales. Elle se traduit par un décrochage de notre nation par rapport à pratiquement tous nos partenaires."A huit ans d'écart, un ex-numéro 2 du Medef et un ministre de l'Economie d'un gouvernement socialiste tiennent donc un discours identique. Il n'y aurait pas d'alternative - comme l'avançait Margaret Thatcher - et peu importe que nos ministres de l'Économie soient de gauche ou de Droite : la seule politique à mener est de défaire les acquis sociaux.

Mais, le modèle social est-il un frein à la croissance ?

Ainsi, notre modèle social lesterait notre économie d'un poids insupportable et le rendrait inapte à une compétition mondiale.
En fait, le raisonnement des libéraux est simple : quand on fait payer des impôts aux riches ou aux entreprises pour financer des aides sociales, on freine d'un côté la création des entreprises et on incite de l'autre les pauvres à l'inaction. Le modèle social crée donc des rigidités structurelles qui empêchent l'économie de s'adapter aux exigences de la mondialisation. Même si le postulat peut paraître logique à première vue, il est malheureusement pour eux, les libéraux, contredit par les faits. La période d'après-guerre, aussi imparfaite soit elle, a rendu possible une croissance inédite dans l'histoire économique. L'octroi de droits sociaux supplémentaires et la montée en puissance de l'État social n'ont en rien freiné le dynamisme économique - bien au contraire. La croissance a été progressivement inclusive et a permis à des franges plus nombreuses de la population d'accéder à un niveau de vie jusque là inconnu. A l'inverse, la casse de ce modèle social, qui s'est opérée progressivement à partir des années 1980, n'a pa permis de créer des emplois ni de redresser l'économie.

En fait, notre modèle n'est pas resté "figé" depuis l'après-guerre. Des milliers de l'État social tels que les services publics ou la politique budgétaire ont subi de profondes transformations dans le cadre de la construction européenne, des entreprises publiques ont été privatisées , la marché du travail s'est flexibilité, notre protection sociale s'est dégradée. De manière générale, le modèle de 1945 appartient déjà très largement au passé mais les libéraux, les ultra-libéraux - autour de Macron - pensent avec lui que ce qu'il en reste est encore excessif pour faire "gagner la France dans la mondialisation".

Pourtant, une comparaison internationale révèle que les pays ayant un État-providence développé ont souvent une croissance plus forte que les autres. Ainsi, sur la période 2001-2005, la Suède a eu de meilleurs résultats que le Japon, malgré des taux de prélèvements obligatoires bien plus élevés . Cet exemple montre que les raisons d'une faible croissance ne sont pas à chercher exclusivement dans le modèle social mais ailleurs.Peut-être dans le manque de vision de nos ministres de l'Économie, qui, plutôt que d'explorer des secteurs d'avenir, se sont acharnés à libéraliser l'économie au nom d'une idéologie appliquée trop religieusement ? Outre les chocs pétroliers et les désordres monétaires, la fin des Trente Glorieuses est largement due à une saturation des débouchés intérieurs, que l'on a voulu remplacer par des débouchés extérieurs. Or, un tel modèle impose une compression des coûts pour être compétitifs sur les marchés internationaux, et donc des réglementations sociales et environnementales plus faibles.

Il est possible aujourd'hui, de créer de nouveaux débouchés en France dans nombre de secteurs, en accord avec la transition écologique : l'efficacité énergétique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables, l'économie circulaire, etc. À l'inverse, rechercher des gains de productivité dans des secteurs historiques ne peut se faire que par la casse du droit du travail, la baisse de la pression fiscale et un nivellement par le bas des réglementations. C'est ce jeu qu'ont décidé de jouer les multinationales, encouragées par des hommes politiques tels qu'Emmanuel Macron.
Pourtant, ces chantiers sont décisifs tant pour l'économie que pour la cohésion sociale de la France.

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