" LIBERTÉ - ÉGALITÉ - FRATERNITÉ " et aussi DIGNITÉ 2/4

Quelles sont les grandes transformations qui ont conduit à l'émergence de cette sensibilité à la DIGNITÉ ?

Depuis les années 1950, des révolutions successives de la " personne " sont apparues : bien évidemment, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 qui défend l'appartenance de toutes et tous à la dignité humaine ; puis dans les années 1960, avec les mouvements civiques qui se sont développés aux États-Unis, et qui ont permis à celles et ceux qui étaient "stigmatisés" parce que jugé.e.s "minoritaires" de faire valoir leurs droits. Ce sont alors des pans entiers de la société, marginalisés par la société et la culture, qui ont réclamé d'être reconnus pour ce qu'ils étaient : les mouvements afro-américains pour les droits civils, les femmes avec les mouvements féministes, les personnes atteintes du SIDA.

Toutes celles et tous ceux qui étaient discriminés par une norme illusoirement universelle .

Ce mouvement n'a cessé de se déployer depuis. Cette révolution de la personne, assez continuelle, vient transformer la loi pour tous.

Grâce à cette "diversité" la notion d' "universel" se densifie et ainsi elle devient crédible et pas seulement un fait théorique.

Quant à la période actuelle, elle a consacré les réseaux sociaux et l'information en continu. Ces dispositifs agissent comme une espèce de caméra de la société sur elle-même. Ainsi, nos sociétés sont plus réflexives et elles exercent une plus grande capacité critique vis-à-vis d'elles-mêmes. Elles sont devenues plus "panoptiques" au sens où elles se regardent aussi se regarder. Ainsi, les sociétés sont des rivalités mimétiques très fortes et cela génère des revendications nouvelles.

Ne sommes-nous pas devenus un peu trop sensibles ?

Nos conditions d'existence, dans les sociétés dites occidentales, peuvent paraître bien confortables pour celles et ceux qui vivent dans des dictatures, qui n'ont pas accès à l'eau potable, aux énergies nécessaires pour leur subsistance quotidienne, ni à l'instruction ?...

Avant de critiquer cette sensibilité, voyons donc ce qu'elle est ...
Ces revendications pour plus de dignité humaine ne sont pas forcément signes d'une sensibilité trop aiguë. On peut considérer cela comme une conquête qui nous rend plus exigeants. Reconnaissons cependant qu'il y a des ambivalences. En effet, il y a certains travers comme celui de la surconsommation, comme le fait de vouloir posséder toujours plus de biens pour se sentir "digne". Or, ce n'est pas en possédant toujours plus de biens matériels ou en accédant à toujours plus de services qu'on répond au besoin de dignité.

N'y a-t-il pas beaucoup de situations dans lesquelles les biens matériels ne fournissent pas davantage de dignité. Cela veut dire qu'on peut vivre dans des conditions matériellement correctes, voire très bonnes, sans pour autant se sentir digne !

Par exemple, il y a des situations traumatisantes très dures comme le viol et l'inceste dans lesquelles les personnes peuvent en venir - à tort - à ne plus se sentir dignes. Elles n'ont plus la force de se protéger elles-mêmes ou même d'espérer aller mieux un jour. Ces personnes se mettent alors en danger. Elles se sentent touchées dans leur cœur, dans leur intimité, et ceci indépendamment des conditions matérielles dans lesquelles elles se trouvent. La restauration de ce sentiment de dignité ne peut alors s'obtenir que par les soins d'un psychanalystetant ces personnes pensent qu'après avoir subi les pires agressions elles ont été atteintes dans leur dignité alors que ce sont les agresseurs qui ont perdu leur dignité en agissant ainsi.
De manière tout aussi ordinaire, il faut veiller ce que la démultiplication des modes dégradés d'organisation dans les services publics ne provoque pas le sentiment de dégradation de soi-même. De nos jours, hélas, l'expérience se banalise dans les Ehpad, les prisons, les logements insalubres... Des soignants expliquent, par exemple, qu'ils ne peuvent plus traiter convenablement des patients faute de temps ou de moyens. Ils et elles ont l'impression de ne plus pouvoir exercer convenablement et dignement leur métier.

CYNTHIA FLEURY, dans un ouvrage intitulé " LA CLINIQUE DE LA DIGNITÉ " paru en 2023 au Seuil traite minutieusement du sujet.

Elle y souligne qu'il est indispensable de tenir les deux bouts de la chaîne : d'un côté l'irréductible et inaliénable symbolique de la dignité pour la personneet, de l'autre côté, sa dimension collectiveprécise-t-elle. Ainsi la fabrication de la dignité devient une charge commune, commune et n'est pas supportée seulement par quelques personnes. On ne peut plus, de nos jours, avoir d'un côté, des gens dignes et, d l'autre des pourvoyeurs de dignité, par exemple des soignants qui les aideraient à l'être sans l'être eux-mêmes.
Le soin construit nos sociétés, mais hélas, le fardeau du soin est porté par les plus vulnérables d'entre nous. La spécialisation de la tâche du CARE, avec des professionnels qui sont dédié à ce travail, est indispensable. Mais il faudrait faire en sorte de partager un peu mieux cette charge, par exemple en reconnaissant qu'il y a un dénominateur commun des individus, quels que soient leur genre, leur métier, leur histoire, qui est le "PRENDRE SOIN".C'est un petit point commun, mais c'est fondamental pour rendre un peu moins abstraites et illusoires la liberté et l'égalité universelles pour tous promues par la modernité.

Il va nous falloir, dans le billet suivant présenter le plus clairement possible la PHILOSOPHIE DU CARE.


Prochain billet " LIBERTÉ - ÉGALITÉ - FRATERNITÉ " et aussi DIGNITÉ 2/3 La philosophie du Care.

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