A l'Ecole....Y a-t-il à changer ? 2/15

Alors qu'une somme considérable de connaissances est accessible en quelques clics, l'essentiel n'est plus d'apprendre par cœur : la machine y parvient mieux que nous souligne François TADDEI dans son ouvrage intitulé "Apprendre au XXIème siècle " publié chez Calman-Lévy en 2018. Le plus important n'est-il pas aujourd'hui d'apprendre à savoir où et comment rechercher les informations et surtout de porter un regard critique sur leur origine, d'être capable de les comparer, de les synthétiser, de les reformuler en résumé et d'en faire bon usage.

Pourtant, le système scolaire est toujours fondé sur la transmission orale et sur la copie du cours dans un cahier. Les examens terminaux (Brevet et Baccalauréat) sont toujours basés sur la mémorisation plutôt que sur la capacité à réfléchir par soi-même.

Dans ces conditions, rester assis à une table, silencieusement 6 heures par jour, à recevoir passivement un savoir imposé et qui passionne rarement est devenu très pénible pour beaucoup d'adolescent.e.s. Un nombre croissant de collégiennes et de collégiens n'en ont plus envie, ne sont plus motivé.e.s, ne jouent plus le jeu. C'est ce que Habermas appelle "la crise des motivations" . Bien des élèves vont à l'école en se demandant pourquoi !

D'une certaine façon, la situation, la vie scolaire se vide de l'intérieur et bien des élèves continuent à aller à "la messe scolaire" sans y croire du tout. C'est ainsi que François DUBET souligne, dans un entretien avec Florence GIUST-DESPRAIRIES dans la Nouvelle Revue de psychologie n°9 en 2010, en disant combien " l'Ecole perd son sens "
C'est ainsi qu'une partie des élèves réagissent en multippliant les incidents , en devenant perturbateurs. Dans une enquête de l'A.F.E.V (Association de la Fondation Étudiante pour la Ville) en 2017, il est souligné que la moitié des collégiennes et collégiens affirment que les enseignant.e.s ont du mal à faire cours à cause des problèmes de discipline . (résultats de la totalité de l'enquête en ligne sur https://drive.google.com/file/d/OB6QNZT6GRel7VUViOTBWNmJDTmM/view?ressourcekey=O-Ml6FYCDbC2jcBg-KOXKFw site consulté en juillet 2021 peut-être qu'il n'est-il plus consultable. De plus, dans l'enquête PISA de 2018 plus d'un élève sur 2déclare qu'il y a du bruit et du chahut dans la totalité des cours.

En fait, il y a, dans la majorité des classes de collège, ''"des élèves dont le rapport à l'école est marqué par un sentiment d'échec , d'absurdité, ou tout simplement d'étrangeté. (....) Le fait qu'un très petit nombre d'élèves, parfois un.e seul.e, puisse fragiliser voire détruire l'équilibre collectif de la classe est devenu une réalité courante ' écrit Anne BARRÈRE dans son ouvrage intitulé "Un nouvel âge du désordre scolaire : les enseignants face aux incidents" publié en 2002 chez Déviance et Société .

Il est une autre évolution majeure dans les 25 dernières années : les enfants et les adolescent.e.s passent de moins en moins de temps à l'extérieur, et ils et elles ont de moins en moins d'activités non encadrées et non structurées. Dans la génération précédente, les jeunes étaient certes enfermés tout la journée dans les salles de classe mais à 16h30, le mercredi et pendant les vacances, les temps de loisirs étaient, en partie au moins, consacrés à des activités libres à l'extérieur. Aujourd'hui, 95% des écoliers et des collégiens rentrent directement de l'école à leur domicile (enquête INSE Première n°1370 de septembre 2011). Et même les quelques minutes de trajet de l'école à la maison ne constituent plus un temps de liberté : plus de 80% des écoliers et 30% des collégiens sont désormais accompagnés à l'aller comme au retour. Sans compter celles et ceux - en de plus en plus grand nombre - qui sont muni.e.s d'une puce électronique permettant de géo localiser en temps réel leurs déplacements...Selon deux études, dans les années 1920, un enfant de 8 ans pouvait se déplacer seul dans un rayon de 10 km; en 1950, il n'en parcourait plus que 2; en 1979, un seul . Aujourd'hui, ils ne sortent quasiment plus seuls.
Les causes de cette limitation du champ d'exploration sont multiples :
- le développement des nouvelles technologies,
- l'urbanisation et la difficulté d'accès aux espaces verts,
- le fait que l'espace public soit de plus en plus perçu comme dangereux.
Depuis mars 2020, la crise sanitaire a, elle aussi, contribué à la perception d'un "monde extérieur" anxiogène, opposé à un "intérieur" bienfaisant et rassurant- sans virus et sans masque.
Les conséquences sont de mieux en mieux connues : le "trouble du déficit de nature" engendre du stress, des troubles du comportement, comme l'hyperactivité, et accroît le risque d'obésité. Bien plus éloignés du monde et enfermés face à leurs écrans, les jeunes sont coupés de la vie, des adultes, du monde réel, comme ils ne l'ont jamais été dans toute l'histoire de l'humanité. Navigant dans un monde déréalisé, entre les enseignements abstraits du collège et le monde abstrait des écrans, ils ne savent pas faire grand-chose de leurs dix doigts : ni soigner une blessure, ni scier une planche, ni réparer une fuite, ni reconnaître des plantes comestibles. De même que l'on cultive aujourd'hui des légumes "hors sol" sans goût ni saveur, nous élevons des adolescents "hors monde", loin du terreau de la vie, sans racines et sans ancrage.
Les adolescent.e.s ne sont pas pour autant en rupture avec le réel :ils recherchent hors de l'école les ressources dont ils ont besoin pour comprendre le monde comme le précise Anne BARRÈRE dans son ouvrage intitulé "L'éducation buissonnière. Quand les ados se forgent par eux-mêmes" et publié chez Armand COLIN en 2011. Ils et elles ont besoin, nos adolescentes et nos adolescents, d'inventer des formes d'acculturation périphériques via leur sociabilité et les réseaux sociaux notamment.Les mobilisations pour le climat d'une partie de la jeunesse ont montré l'énergie qui pouvait y naître. Mais l'enseignement officiel reste en dehors de ce "savoir sauvage", alors qu'il devrait s'y articuler.

Mais quelle est donc la compréhension des enjeux du monde contemporain ?

En science, la France se situe très nettement sous la moyenne internationale des pays de l'UE et OCDE et n'amène que 3% de ses élèves au niveau avancé contre 10% dans les pays développés. Alors que les enjeux du réchauffement climatique, tout comme la disparition des espèces et la destruction de l'environnement sont de nature scientifique. Le niveau actuel des jeunes français.e.s en sciences ne leur permettra pas de comprendre correctement ces enjeux. Les hommes et femmes politiques, qui pour la plupart, n'ont pas de formation scientifique, ne les comprennent pas non plus spontanément.
Les jeunes français et françaises ont aussi des difficultés à maîtriser les langues étrangères. En fin de collège, les trois quarts d'entre eux n'arrivent pas à se faire comprendre correctement en anglais. A l'heure où les problèmes sont globaux, cela les enferme dans un univers étroit.
Leur déficit de connaissances dans le domaine de l'économie et des relations sociales ne leur permet pas non plus de maîtriser les tenants et les aboutissants sur des questions telles que les inégalités de la richesse ou le sous-développement, la fiscalité, la sécurité sociale, le budget de l'État.
On pourrait compléter cette liste, en évoquant par exemple, les difficultés d'un certain nombre d'élèves en lecture, voire l'indigence de l'éducation artistique et de tout ce qui contribue à développer sensibilité et créativité.

Soyons clairs, ces lacunes dans la formation ne sont en rien liées au travail des enseignant.e.s.Bien au contraire l'investissement personnel important de la majorité des enseignant.e.s ne change rien à cette situation et c'est ce qui engendre un malaise manifeste dans la profession.

C'est la forme scolaire elle-même qui induit cet état de fait.Voir l'ouvrage de Guy VINCENT intitulé "L'éducation prisonnière de la forme scolaire? Scolarisation et socialisation dans les sociétés libérales " paru aux Presses Universitaires de Lyon en 1994. La segmentation des savoirs dans un monde où les les questions de société sont pluridisciplinaires rend inintelligibles les grands enjeux de société affirme Edgar MORIN dans "Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur" paru au Seuil en 1999. Tout comme Bruno MATTÉI parle de "l'entreprise de découragement à apprendre" que constitue pour beaucoup plus d'élèves qu'on ne pense que constitue l'École. Jean-Pierre ASTOLFI lui montre que "les savoirs scolaires sont pauvres et affaiblissent la motivation " et que les élèves consacrent une part importante du temps scolaire à s'efforcer de décoder ce que l'enseignant attend d'eux .

Le choix de ce que l'on apprend et de ce que l'on n'apprend pas est aussi un choix politique.

Ainsi comme l'explique Paul Le Bohec,"Vers la fin du XIXème siècle, la bourgeoisie s'est aperçue qu'elle aurait intérêt à ce que les ouvriers sachent lire, écrire et compter. Et elle a rendu l'école obligatoire. Et à la classe ouvrière, qui aurait pu en profiter pour se cultiver, elle a dit : "D'accord ! Mais j'exige moins de cinq fautes en orthographe aux examens. Sinon c'est l'élimination ." Elle savait ce qu'elle faisait. On sait que l'orthographe française est difficile à maîtriser. (...) Le temps consacré à l'orthographe empêche d'investir d'autre domaines du savoir. " Le texte de Paul Le Bohec est accessible sur la liste de diffusion "Innovation"

Le fonctionnement de la démocratie implique que les citoyens et citoyennes disposent des connaissances permettant de comprendre la monde dans toutes ses dimensions. Or l'École, aujourd'hui, n'apporte pas suffisamment les connaissances essentielles et nécessaires à la compréhension des enjeux du monde contemporain.

Ces difficultés affectent l'ensemble du sytème éducatif, mais c'est au Collège qu'elles sont les plus vives.

Dans le prochain billet nous traiterons la question : Le collège : une situation que se dégrade.

A bientôt. Cordialement. JP

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