A l'Ecole....Y a-t-il à changer ? 7/15

Notre système décourage-t-il les promoteurs de pratiques nouvelles ?

Il semble que oui !

Comment expliquer qu'en France, les pédagogies alternatives soient toujours restées minoritaires et en marge du système scolaire, et beaucoup moins répandues que dans la plupart des autres pays ?

Écartons d'abord un point souvent soulevé : ce n'est pas une question d'argent.En effet, dans l'enseignement public, le taux d'encadrement et les moyens attribués aux établissements expérimentaux sont strictement identiques à ceux des établissements standards. Quant au développement des écoles privées hors contrat, il fait faire à l'État des économies puisqu'il ne débourse plus un centimes pour les élèves qui ont quitté le système.

Voyons donc le contexte socio politique .

En effet, les explications du faible développement de ces pédagogies sont d'abord à chercher du côté du contexte socio politique.
La France est un pays de tradition centralisatrice et unitaire. Nous sommes habitué.e.s à ce que l'État décide de tout. On ne perçoit peut-être pas très bien, dans l'Hexagone, à quel point cette manière de penser nous est spécifique. En Belgique, en Flandre, chacun peut ouvrir une école, à condition que le programme soit accepté par l'administration régionale et que les enseignant.e.s aient le diplôme requis. l'École est alors subventionnée. Au Québec, un groupe de parents qui le souhaite a le droit - un droit établit par la loi pour l'instruction- de demander la création locale d'une école alternative : cela a permis l'ouverture de 7 écoles publiques différentes entre 2010 et 2016 . En France, l'idée que chacun, à la manière de "Colibris" , devait se lancer dans une action, à son échelle, fût-elle minuscule, en faveur d'un monde meilleur a été popularisée par le film Demain et commence lentement à faire son chemin dans une frange de la population.
Mais pour la majorité, l'idée que les citoyennes et citoyens pourraient prendre des initiatives - comme enseigner autrement dans sa classe ou initier un projet d'école - ne fait pas partie des habitudes culturelles . Que l'on puisse faire autrement, se singulariser, en matière éducative, est donc difficile à accepter par la majorité des acteurs du système éducatif.
En outre - et cela renforce ce qui vient d'être énoncé - de nombreux Français et de nombreuses Françaises sont extrêmement attaché.e.s à l'idée d'égalité et profondément convaincu.e.s que l'égalité des chances passe par un même enseignement dispensé à toutes et tous ; tous et toutes les élèves devraient suivre le même programme, avoir exactement le même nombre d'heures de mathématiques, entendre le même discours au même moment...et ce, indépendamment de la diversité des besoins, de la vitesse d'apprentissage des un.e.s et des autres. L'idée que plusieurs chemins pourraient conduire au même résultat n'est pas présente. Dans ce contexte, il n'y a pas de place pour la diversité éducative.
La France est aussi un pays dans lequel les exigences académiques sont fortes et où la priorité est donnée à la transmission du savoir. La situation est très différente, par exemple, dans les pays de nord de l'Europe et dans les pays anglophones, où le bien-être et l'épanouissement de la personnalité sont mis en avant en priorité : cf L'article de Gilles Brougère intitulé "Le bien-être des enfants à l'école maternelle : comparaison des pratiques pédagogiques en France et en Allemagne, Informations sociales, n°160, 2010/4 p46-53.
Les évolutions récentes de l'école maternelle sont révélatrices.Depuis le milieu des années 1980, le jeu libre et la place des activités artistiques ne cessent d'y diminuer, les programmes sont toujours plus contraignants et plus axés sur les apprentissages fondamentaux, sur le modèle de l'élémentaire. Les nouveaux programmes entrés en vigueur en septembre 2021 sont focalisés sur les compétences (lire, écrire, compter...), avec des évaluations dès l'âge de 2-3 ans. "Il n'est question que de contrôle, de vérification et d'exercice qui n'ont de jeu que le nom", estime Gilles Brougère professeur de sciences de l'éducation dans son article intitulé "Le jeu et l'école maternelle française : une incompréhension récurrente" paru dans l'Expresso du Café pédagogique du 16 décembre 2020. "En petite section, on travaille désormais les mathématiques ou la reconnaissance de lettres", explique Ghilain Leroy dans son article intitulé "Pour une école maternelle de la résistance" publié dans l'Expresso du Café pédagogique du 15 décembre 2020 ; " Des activités comme le dessin, jadis une des plus présente dans les classes n'y ont quasiment plus droit de cité."
Ce constat est valable pour l'ensemble du sytème scolaire français. En France, ce qui va dans le sens de l'épanouissement de l'enfant est suspecté s'éloigner de l'essentiel, c'est à dire des apprentissages académiques. Tout se passe, en quelque sorte, comme si l'épanouissement et les apprentissages fondamentaux étaient comme deux vases contigus : quand l'un se remplit, l'autre se vide. Il est alors difficile de concevoir que les deux pleins soient possibles en même temps c'est-à-dire : que l'école pourrait à la fois rendre les enfants heureux et leur permettre d'apprendre les mathématiques l'orthographe. On touche là aux représentations, c'est-à-dire à des croyances éloignées d'une approche rationnelle des apprentissages.
Il est démontré notamment dans l'ouvrage de Marie-Laure Viaud intitulé "Des écoles différentes? Perpectives internationales", tout comme dans L' école autrement? Les pédagogie alternatives en débat " de Frédéric Darbellay, Zoé Moody et Maude Louviot publiés en 2021 aux Editions Alphil, que le développement des écoles alternatives est limité dans les pays donnant la priorité aux savoirs académiques et dans ceux ayant une longue tradition centralisatrice et unitaire, la pédagogie et l'organisation de l'école étant alors perçues comme étant l'affaire des seuls professionnels de l'école et de l'État : c'est le cas en France, en Italie et au Chili.A l'inverse, le développement des ces écoles est facilité dans les pays décentralisés et dans ceux qui mettent l'accent sur l'épanouissement de la personnalité de l'enfant - probablement parce que les principes de l'éducation nouvelle sont alors plus facilement acceptés dans l'opinion : c'est le cas, par exemple, en Allemagne, au Québec et aux Etats-Unis.
Les habitudes culturelles françaises constituent donc le premier élément expliquant la situation des pédagogies différentes dans ce pays. Cela permet de comprendre que l'institution n'a jamais soutenu ces pratiques, que les enseignant.e.s n'y aient pas été formé.e.s et ne les connaissent que très mal, que la demande parentale pour ce type d'école ne soit que récente et reste encore marginale, et qu'aucun des mouvements politiques ou sociaux qui pourraient relayer de tels projets (partis politiques, syndicats,...) ne s'y intéressent réellement .

Comme un accordéon...

Ce premier niveau de compréhension n'épuise pas le sujet.
La situation des pédagogies nouvelles en France, n'et pas celle d'un désintérêt complet qui aurait été suivi d'une brusque "découverte" récente.
La réalité est plus complexe : depuis plus d'un siècle on observe une alternative de très courtes périodes de soutien aux valeurs des pédagogies alternatives (souci de donner du sens aux savoirs, pluridisciplinarité, ouverture de l'école sur l'extérieur, acceptation des initiatives locales...) et, systématiquement ensuite, des périodes de valorisation des formes traditionnelles de l'enseignement (retour aux "fondamentaux", autorité, affirmation d'une "remise au pas du personnel enseignant par des circulaires prescriptions...).
Si l'on observe cela à l'échelle du siècle écoulé", on constate que cette alternance s'est à chaque fois manifestée sous la forme d'un foisonnement d'initiatives, d'un "bouillonnement" d'idées rapide, inventif, audacieux...suivi d'un déclin tout aussi net.
Ainsi, au sortir de la Première Guerre mondiale dans une Europe traumatisée et soucieuse de pacifisme, naît l'espoir qu'une évolution du modèle éducatif permette d'éviter la répétition de pareils conflits. En 1921, le premier congrès international d'Éducation nouvelle rassemble 150 novateurs. En 1923, lorsque Célestin Freinet commence à transformer sa classe, il s'appuie sur les instructions officielles tout juste parues, qui prônent les "classes promenades". C'est l'époque du développement des écoles Montessori et Steiner, celle aussi de Summerhill, la célèbre école fondée par Neill en Angleterre sur le principe de la liberté absolue des enfants. Mais la situation bascule à la fin des années 1920, avec la crise économique et la montée de l'extrême droite politique : plusieurs pédagogues sont alors violemment attaqués, ciomme Freinet, qui doit quitter l'Éducation nationale en 1933.
L'arrivée au pouvoir du "Front populaire" change brièvement la donne.Le ministre Jean Zay préconise des pratiques nouvelles dans l'ensemble du système éducatif. En 1937, à titre d'expérimentation , 176 classes sont ouvertes dans 46 établissements, où l'on pratique, dès la classe de 6ème, une pédagogie centrée sur l'enfant, sa personnalité, ses goûts, ses aptitudes. En 1938, c'est terminé.
À la Libération, le mouvement en faveur d'une éducation différente connaît un nouvel élan. Nombre d'écoles publiques ou privées voient le jour, dont La Source et Decroly sont les héritières. une commission pour la réforme de l'enseignement, mise en place par le ministère, donne naissance à un projet de réforme profonde de l'éducation : le plan Langevin-Wallon .
En 1945, 200 classes nouvelles sont ouvertes. Elles expérimentent dans des lycées publics , avec des classes de la 6ème à la 3ème, des pratiques innovantes fondées sur l'activité de l'élève, la démarche d'enquête, les activités manuelles et artistiques, la pluridisciplinarité. Mais, entre 1950 et 1952, le gouvernement met fin à la plupart de ces expériences sans les avoir évaluées.
Le début des années 1960 et les années suivant immédiatement 1968 constituent une nouvelle période d'engouement pour les pédagogies nouvelles, suivie , sous le ministère de René Haby, d'une période de "remise en ordre". En mai 1981, la victoire de la gauche donne une nouvelle dynamique à ces pédagogies. Le ministre de l'Éducation Alain Savary veut favoriser l'ouverture de lycées "alternatifs" dans l'Éducation nationale : cinq établissements sont créés.
Mais, après 1984, dans un contexte marqué par la parution de plusieurs pamphlets virulents affirmant que la pédagogie s'oppose à la "transmission des savoirs",Jean-Pierre Chevènement qui remplace Alain Savary, insiste sur l'effort et le travail, fait l'éloge des normes, de l'autorité et de la compétition. La plupart des écoles différentes ferment.Jack Lang, ministre de l'Éducation en 2000, permet l'ouverture de trois collèges expérimentaux...dont l'existence sera mise en cause en 2002, lors du changement de gouvernement . En 2015, la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem-Belkacem, tend à donner davantage de liberté aux enseignant.e.s. ...projet enterré dès son départ du ministère.
Pendant les cinq dernières années, la politique de Jean-Michel Blanquer a rendu la situation moins immédiatement lisible, en prétendant favoriser l'innovation (comme avec le statut dérogatoire accordé à 50 écoles marseillaises à la rentrée 2022) et s'appuyer sur les données de la science (éloge des neuro-sciences). La réalité était complètement différente : inflation de prescriptions, contrôle autoritaire et renforcement de la hiérarchie : redéfinition du statut des directeurs d'école, scolarisation obligatoire dès l'âge de 3 ans, interdiction de l'instruction en famille...pour ne prendre que quelques exemples.
Ces volte-face successives ont conduit, sur le terrain, à l'ouverture régulière d'un petit nombre d'écoles fondées sur des pédagogies différentes, puis à leur fermeture brutale. Suivie de la création d'autres écoles...puis de leur fermeture. À chaque fois sans explications, sans que ces expériences aient été évaluées, sans que l'analyse de ce qui aurait pu être transféré dans le système ordinaire, pour le faire évoluer ait été réalisé.
Prenons quelques exemples récents suivi par Maire-Laure Viaud.
À la rentrée 2000, trois collèges expérimentaux fondés sur des principes novateurs ont vu le jour : collège de La 7ème Île à Brest, le collège pionnier de La Maronne dans le cantal et le Collège Anne-Frank au Mans. Marie-Laure Viaud s'est rendue à plusieurs reprises dans ces collèges et a pu constater le sérieux du travail mené : des enseignant.e.s investi.e.s, des dispositifs pédagogiques novateurs favorisant la réussite de toutes et tous. Fin juin 2006, le collège expérimental de Brest a été fermé sans préavis par l'inspecteur d'académie, à la veille des grandes vacances, à l'occasion d'un déménagement imposé à l'équipe éducative sans concertation avec l'équipe et les parents. En 2009, le collège de La Maronne a dû, à son tour, mettre la clé sous la porte après s'être battu plusieurs années durant au tribunal administratif pour obtenir le statut d'établissement. En juin 2013, le collège Anne Frank, un projet très novateur fondé sur le remplacement des classes de 6ème, 5ème, 4ème, 3ème par des groupes de niveaux variables selon les disciplines et adaptables de façon très souple aux besoins de chaque élève, a dû renoncer à son caractère expérimental, à l'initiative d'un directeur académique, après avoir subi plusieurs années de violences institutionnelles.

Ces trois collèges expérimentaux ont donc été fermés quasiment du jour au lendemain par une décision unilatérale de la tutelle, sans que leurs pratiques aient été ni évaluées ni diffusées . Ils auraient pourtant pu constituer des pistes intéressantes pour la réforme du collège.

Autre exemple : à partir de 2010, un groupe de professionnels de différents collèges d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) a imaginé pour le 6ème collège d'Aubervilliers, alors en construction, un projet "coopératif et polytechnique" fondé notamment sur l'exploration interdisciplinaire des compétences intellectuelles et manuelles et sur la mise en place d'espaces de pouvoir partagé. Huit années de travail, de réflexion, d'échanges, de lutte, ont passé._À la rentrée 2018, il a enfin pu ouvrir, dans des conditions particulièrement difficiles : une partie du projet amputée de ce qui en faisait sa spécificité, une première année dans des préfabriqués qui prenaient l'eau, sans installation sportive ni cantine, et une partie importante de l'équipe qui n'a pas prêtre nommée aux postes prévus et/ou n'a pas été renouvelée au bout d'un an. Après deux années de ce régime, début juin 2020, une lettre-couperet du rectorat a surpris l'équipe : le projet était stoppé net, sans aucune évaluation exhaustive, faisant fi de dix années d'investissement intense d'une équipe d'enseignant.e.s dynampiques.__
La situation n'est pas propre au secondaire. En juillet 2018, l'école primaire de Mons-en-Barœul (59) -dont les résultats impressionnants ont été validés par une équipe universitaire- apprend que la possibilité de rassembler des enseignant.e.s formé.e.s à la pédagogie Freinet lui est retirée, ce qui met fin à la cohérence pédagogique de l'école et donc à sa spécificité. Depuis 2019, l'équipe de l'école Freinet Marie-Curie de Bobigny souffre des pratiques de l'inspectrice de l'Education nationale de Bobigny, dénoncée par l'équipe comme "autoritaire, culpabilisante et infantilisante". Ces pressions ont eu comme effet d'avoir quasiment mis un terme au projet de l'équipe. Ainsi, l'une des enseignante, qui avait remis en question la pertinence des évaluations nationales, a subi une mutation "dans l'intérêt du service". En 2020, c'est l'école Freinet d'Hérouville-Saint-Clair, dans le Calvados, qui a été subitement démantelée, après 43 années de vie et d'apprentissage en pédagogie Freinet.
Il faut ajouter que les enseignant.e.s qui mettent en œuvre des pratiques innovantes dans les écoles ordinaires n'échappent pas à cette règle. L'expérience de Céline Alvarez l'a montré au grand jour. bien d'autres enseignant.e.s non médiatisé.e;s ont , comme elle, vu leurs choix pédagogiques encouragés puis dénigrés.
Enfin, dans le primaire comme dans le secondaire, les écoles et établissements qui échappent à la fermeture voient leurs expérimentations régulièrement remises en cause par des mesures fragilisantes ety/ou normalisantes. En juin 2019, la FESPI (Fédération des Établissements Scolaires Publics Innovants) en a donné quelques exemples dans un communiqué alertant sur la situation de la majorité des structures expérimentales du second degré : obligation e déménager dans des locaux inadaptés, suppression de postes, non-renouvellement des postes ou non-nomination des enseignant.e.s formé.e.s à ces pédagogies, non-reconduction des dispositifs spécifiques.

cf https://www.fespi.fr/communique-de-presse-les-etablissements-experimentaux-de-leducation-nationale-fragilises.

Depuis quelques années, ces brusques revirements de la tutelle, touchent les écoles privées hors contrat, jusque-là relativement épargnées.
Depuis 2018, alors que les inspections étaient jusque-là annoncées à l'avance, elles sont devenues inopinées. La recherche-action-expérimentation dans laquelle est engagée Marie-Laure Viaud lui a permis de prendre connaissance du déroulé de la majorité des inspections ayant eu lieu entre 2018 et 2021 dans les écoles démocratiques du réseau de l'EUDEC et de consulter les rapports d'inspection qui les ont suivies. Au cours de cette période, les équipes décrivent un changement net de comportement de la part de certains inspecteurs : faisant preuve de mauvaise foi, cherchant tous les prétextes, y compris mensongers pour obtenir la fermeture. Les conditions mêmes dans lesquelles se déroulent parfois ces contrôles laissent perplexes : certains inspecteurs arrivent à 4 ou 5, par surprise, dans une école de quinze ou vingt enfants, puis repartent une heure plus tard : comment , dans de telles circonstances, pouvoir formuler un avis étayé ? Nombre de ces équipes ont reçu une mise en demeure et/ou une injonction de fermeture, qui ont mis en péril leur existence ou les ont conduites à devoir arrêter leurs activités.


Le prochain billet portera sur le ressenti des novateurs.
A bientôt.
Cordialement.
JPL

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