Réflexions politiques pour envisager les perspectives d'avenir ... 4/14

"L'ÉTAT DOIT CONTINUER À DONNER PLUS DE SOUPLESSE AU MARCHÉ DU TRAVAIL"

Emmanuel Macron dans le Parisien, du 12 novembre 2015.

C'est par ces mots qu'Emmanuel Macron, lors de l'hiver 2015, invite le gouvernement (auquel il appartient si je ne me trompe) à prendre la voie de la flexibilité du marché du travail.

La pensée dominante dans l'opinion publique du moment va effectivement dans le sens de souligner que la France se meurt d'un marché du travail surprotégé au sortir des "trente glorieuses". Les entrepreneurs s'estiment écrasés par les cotisations sociales alors qu'ils voudraient recourir facilement à un volant de main-d'œuvre disponible, ils aimeraient aussi voir moduler le SMIC en fonction de l'âge du travailleur tout comme licencier quand cela leur paraît nécessaire sans se heurter à une administration selon eux trop protectrice et peu à même de comprendre les nécessités du pays jugent-ils. Ils vont même jusqu'à souligner que si nous avions fait comme les anglais, les allemands, les américains des réformes structurelles nous serions au plein-emploi.

Qu'en est-il dans les faits?

La France est-elle cette exception européenne peuplée d'"enfants gâtés" comme l'indique Sophie Pedder correspondante à Paris de "The Economist"?
Une analyse de ces trente dernières années montre qu'un certain nombre de réformes ont flexibilisé le marché du travail français sans que le chômage ne recule.En fait il n'a fait que croître.
Donner plus de flexibilité au marché du travail, aller plus loin que la loi El Komri, voilà les objectifs d'Emmanuel Macron .Son cercle vertueux se présente à nous clairement. Plus de souplesse, des rémunérations ajustées aux variations de la production, un code du travail simplifié et les entreprises fortes du cette liberté retrouvée embaucheraient du Lundi au Dimanche. La France serait alors compétitive et retrouverait le plein-emploi .

Les faits montrent que la France est loin d'être ce pays ayant refusé de donner plus de flexibilité à son marché du travail, comme aiment à la raconter nombre de membres de la macronie .

Depuis 1980, le recours aux emplois temporaires a été multiplié par 5 pour l'intérim, par 4 pour les CDD et par 3 pour les stages et les contrats aidés. La part des CDI dans l'emploi est passée de 94% en 1982 à 86% en 2012. Aujourd'hui, 87% des nouvelles embauches se font en CDD.
Une étude de l'INSEE ("Emploi et salaires", Insee, 2014 ) a montré que les salarié.e.s en CDD et en Intérim demeurent dans la précarité et que ces types d'emplois constituent rarement des tremplins vers une activité durable. D'autres travaux ont montré que chaque génération occupe moins d'emplois stables que la précédente.

En dépit de ce bilan peu glorieux puisque le chômage n'a eu de cesse de progresser, ce désir de réforme n'a pas trouvé de limites : pas moins de 17 réformes sur la protection de l'emploi ont été réalisées en France entre 2000 et 2013.
Malgré tout, Emmanuel Macron estime que la volonté réformatrice a été trop timorée et que la France n'en a pas fait assez.Ca ressemble à du bourrage de crâne.

Voyons de plus près ce que nous indiquent, en la matière, les exemples étrangers.
L'indicateur Labref de la Commission européenne montre que certains États ont beaucoup plus fortement libéralisé leur marché du travail. C'est le cas de l'Italie, qui a voté 47 réformes sur la même période, de l'Espagne (39 réformes) ou de la Grèce (23 réformes). Or, dans ces pays, le chômage en est encore à 27% de la population active en Grèce, 25% en Espagne avec 50% chez les jeunes.

Au fait, qu'en est-il du consensus scientifique sur le lien entre flexibilité et création d'emplois ?

En 1994, l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), en se servant d'arguments sortis des meilleurs travaux de recherche, avait enjoint tous les pays d'emprunter la voie de la flexibilité et de dérèglementer leur marché de travail. Pourtant, après 10 ans de réformes "assouplissantes" et autant de mauvais résultats en termes d'emploi, cette même institution se ravisait dans ses perspectives pour 2004 et affirmait qu'aucune étude économétrique ne pouvait établir pleinement une corrélation entre le degré de protection de l'emploi et le niveau de chômage.
Une autre étude conduit épar deux chercheuses de la Sorbonne a dressé un état des lieux de l'ensemble des connaissances scientifiques sur le lien entre flexibilité du marché du travail et baisse du chômage. L'analyse des articles scientifiques portant sur le sujet montre qu'il n'y a pas de consensus sur la question. (1)

Comment Emmanuel MACRON peut-il persister dans cette voie ?

Sa modernité apparente révèle au fond "la persistance du vieux sous le neuf"(comme einh diso diso dein nos villaches) Son analyse périmée exprime un point de vue de classe qu'il semble espérer qu'on ignore.
En réalité, ce n'est peut-être pas dans l'état du marché du travail qu'il faut chercher les causes du problème, mais plutôt dans l'absence de croissance,due à des politiques économiques mal calibrées.
La réduction des déficits à partir de 2011 - alors que les Etats-Unis creusent le leur, ne se souciant pas de leur croissance -a sapé la reprise économique.Or , on sait que réduire le déficit en période de crise revient à réduire l'activité économique. D'ailleurs, en 2015, le déficit est revenu son niveau de 2008 sans qu'on observe aucune amélioration sur le niveau de l'emploi.

Ainsi, affirmer que la flexibilité génère plus d'emplois est une contre-vérité . En érigeant pourtant ce principe au rang de vérité, Emmanuel Macron renoue clairement avec une logique libérale qui fait du travail une variable d'ajustement.





1- Muriel Pucci et Julie Valentin "Flexibiliser l'emploi pour réduire la chômage : une évidence scientifique ? " Connaissance d l'emploi n°50, janvier 2008.


Le prochain billet portera sur "La statut de fonctionnaire" Bien à vous toutes et tous. Cordialement. JPL

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