Réflexions politiques pour envisager les perspectives d'avenir ... 11/14

!!"Il y a une politique des fainéants et il y a la politique des artisans"Le Monde du 27 février 2015.

Cette phrase d'Emmanuel Macron a été prononcée au plus fort des débats sur la loi qui porte son nom.

Précisément, au moment où sa propre majorité se fissurait, et tout particulièrement sur la question de l'extension du travail dominical.
Face à une fronde grandissante et poussé à bout par la contestation issue de ses propres rangs, il s'est senti obligé de procéder à une mise au point : " Je pense qu'il y a une politique de fainéants et il y a la politique des artisans, et les artisans, au sens fort du terme, ce sont ceux qui ont passé des jours et des nuits à travailler un texte au fond, qui savent ce qu'il y a dedans, qui peuvent en être fiers. Et il y a la politique des fainéants, qui consiste à regarder la surface de l'eau. On meurt de cela."
Ainsi, l'ancien ministre de l'Economie se présente comme un artisan, image flatteuse auprès du grand public, car un artisan est un homme qui travaille avec soin, qui respecte une certaine tradition et qui s'engage à réaliser une tâche durable.
Est-ce ce qu'Emmanuel Macron a fait cela avec cette loi ?
Avant de la rédiger, a-t-il analysé la singularité de l'économie française et ses besoins afin de proposer un texte sur mesure ?
Eh bien NON ! Malheureusement, non : les faits montrent que la loi Macron n'est qu'une pâle copie de ce qui s'est fait quelques années plus tôt en Italie ou en Espagne. Loin d'être un artisan, l'ancien ministre apparaît surtout comme "un élève modèle" suivant à la lettre les recommandations de la Commission européenne.

UNE LOI INQUIETANTE...

La loi Macron s'appelait au départ "loi pour la croissance et le pouvoir d'achat", avant de devenir "loi pour la croissance et l'activité ". Ce changement n'est pas anodin : il appuie, à ce moment-là, la volonté du gouvernement d'accomplir les réformes structurelles prétendues nécessaires pour accroître la compétitivité. Si l'on traduit le sous-texte, il s'agit d'assouplir le marché et de favoriser la concurrence, laquelle est censée, selon la théorie standart, profiter à toutes et tous. La philosophie de cette loi est que le problème des entreprises ne vient pas d'un manque de débouchés mais de rigidités structurelles, d'où les volets propres au marché du travail, comme ceux portant sur les licenciements ou le travail dominical. Il s'agit d'accroître la flexibilité du travail et de donner aux entreprises les outils juridiques pour leur permettre de s'adapter en cas de ralentissement de l'activité.
La loi Macron, par sa grande technicité, masque des orientations très préoccupantes.
Ainsi, elle escamote la caractéristique profonde du contrat de travail, à savoir le lien de subordination du salarié à l'employeur en échange d'un salaire. Du fait de ce lien, le contrat de travail n'est pas un contrat comme les autres ( entre deux parties à égalité ) : c'est pour cela que des droits spécifiques en découlent. Cette loi amorce donc un retour en arrière, puisque le contrat de travail devient un contrat civil comme celui entre un bailleur et son locataire. Ou comme le contrat de louage qui, au XIXème siècle caractérisait la relation employeur-employé avant l'affirmation d'un contrat de travail.
Le travail de nuit, dans les dispositions de la loi, devient "travail en soirée". Au-delà de l'extension du travail du dimanche (qui, soit dit en passant, alourdira le code du travail puisque les dérogations ne cesseront d'augmenter et qu'il conviendra de les fixer dans les textes), c'est le devenir des contreparties qui inquiète. En effet, la loi énonce que ces contreparties seront fixées par un accord collectif ou territorial, ou une décision unilatérale de l'employeur. Par exemple, pour les entreprises de moins de 20 salarié.e.s dans les zones touristiques, le salaire ne sera pas doublé le dimanche et, au-dela de vingt salarié.e.s, les entreprises pourront attendre la 3ème année d'accès à ce seuil pour engager des contre-parties. Dans le secteur du commerce, 4 millions de salarié.e.s sont concerné.e.s : 5% d'entre eux.elles travaillent déjà le dimanche de façon régulière, 25% occasionnellement, et 85% disent ne pas vouloir travailler le dimanche.
Enfin, les heures supplémentaires ne seront plus majorées dans les entreprises de moins de 20 salarié.e.s et, au-dela, la majoration n'aura rien d'automatique et relèvera de la négociation.
Derrière ces enjeux en apparence techniques, on retrouve la question centrale - présente depuis l'âge industriel - celle du TEMPS DE TRAVAIL.Les luttes ouvrières ont porté sur la limitation journalière ou hebdomadaire de la durée du travail. Les passages successifs, via la loi, à 40 heures, 39 heures et 35 heures, ont participé de ce mouvement d'humanisation relative au travail.Désormais, le gouvernement se fait le porte-parole de la frange la plus régressive du patronat, qui rêve d'une modulation à la carte. Alors même que le repos dominical reste un moment important de socialisation dans la vie des individus et représente une des conquêtes ouvrières depuis 1906.

En somme, cette loi est clairement un mauvais coup pour les salarié.e.s, et le ministre dont elle porte le nom est avant tout un "artisan " de la décontractation des acquis de la gauche.
La loi Macron est avant tout une loi européenne.

Cette promotion de la logique du marché croise à tel point ce qui a été fait dans d'autres pays européens qu'il est légitime de se demander si la loi Macron ne vise pas avan tout à rassurer Bruxelles sur notre engagement à consentir des réformes.
Privatiser, déréguler, mettre en concurrence, réduire le périmètre de l'Etat :tels sont les mots d'orde qui gouvernement les institutions européennes depuis plus de trente ans. Quoi qu'en pensent les opinions publiques, les élites de gauche comme de droite sont rangées derrière ces bannières et tentent de les porter sur le devant de la scène. Emmanuel Macron n'échappe pas à la règle : il ne crée pas, il s'aligne.
Ainsi, on ne peut que remarquer les ressemblances entre la loi Macron et la loi italienne de 2006 intitulée "Libéralisation et promotion de la concurrence et de la compétitivité".Conduite elle aussi par un gouvernement dit de gauche (celui de Romano Prodi, qui a été également président de la Commission européenne), elle concernait quasiment les mêmes professions réglementées : avocats, pharmaciens, notaires et chauffeurs de taxi. Une étude issue de la Commission européenne a montré que la réforme portée par le ministre du Travail Luigi Bersani n'a eu qu'un impact limité sur le pouvoir d'achat, les revenus ou l'amélioration de la qualité des services, aussi bien pour les avocats que pour les pharmaciens. Toutefois, accrochée à son idéologie, la Commission précisait qu'il était difficile de dresser un bilan sérieux de ces mesures, car la loi n'a pas connu une pleine application. Il faut donc continuer à réformer l'économie italienne -, les résultats finiront par arriver...
Même si, les réformes italiennes n'ont pas eu un impact quantitatif significatif sur l'économie, elles ont redistribué les cartes en faveur de ceux qui étaient déjà en position de force sur le marché et défendaient la mise en place de telles transformations ; Ainsi, une enquête de la journaliste Ariane Puccini montre que ce sont les grandes surfaces qui sont largement sorties gagnantes de la libéralisation des produits pharmaceutiques, au détriment des pharmacies. Un an et demi après l'application de la loi, les grandes enseignes proposaient des rabais de 25% en moyenne. Malgré une baisse des prix de 13 à 20% sur ces spécialités dans les officines italiennes, celles-ci avaient déjà perdu 5% des parts de marché début 2008, alors que les grandes surfaces en avaient acquis 12%.
En somme, la déréglementation profite à ceux qui pèsent le plus sur le marché, et rien n'assure que ces déséquilibres - quand bien même ils engendrent des gains en termes de pouvoir d'achat - ont un impact positif au niveau macroéconomique. De manière générale, on est loin des grands chantiers économiques ou d'une utilisation habile des instruments d'elliptique budgétaire et monétaire. On peine à comprendre l'intérêt pour l'emploi, la croissance ou la spécialisation de mettre en concurrence pharmacies et supermarchés.
L'analyse est la même pour le travail dominical, qui a connu une ample libéralisation dans d'autres pays européens. Depuis 1998, en Italie, la possibilité de travailler les jours fériés dans les centres des villes d'art et de tourisme est légale dix mois de l'année, et les grandes surfaces peuvent ouvrir 16 dimanches par an. En Espagne, une loi de 2008 a rendu possible l'ouverture des boutiques 24 heures sur 24.
Or, malgré une libéralisation à marche forcée, les économies italiennes et espagnoles n'on pas retrouvé le chemin de la croissance ni réussi à endiguer la progression du chômage. Certain libéraux se vantent de la création de quelques dizaines de milliers d'emplois ces dernières années pour justifier l'efficacité des ces politiques...alors qu'elles ont créé des millions de chômeurs depuis qu'elles ont été mises en place.

La réalité est que ces réformes ont entraîné des mouvements de concentration dans certains secteurs et une progression marginale des achats le dimanche, mais la croissance et l'emploi n'ont pas décollé, contrairement à ce qui avait été dit au départ.









A bientôt pour le 12/14 .
Cordialement.
JPL

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