Réflexions politiques pour envisager les perspectives d'avenir ... 12/14

" Le compromis social sur EDF a été fait aux dépens de tout le monde pour l'intérêt uniquement des salariés." Discours à l'Assemblée Nationale le 8 mars 2016.

EDF traverse une passe difficile. L'entreprise, détenue majoritairement par l'Etat, est sortie du CAC 40. Elle a vu son bénéfice divisé par trois et sa valeur boursière par huit. Pour couronner le tout, son directeur financier a démissionné en mars 2016, et l'association des actionnaires salariés demande le retrait de l'entreprise de la Bourse de Paris et le rachat par l'Etat de ses actions (au prix d'introduction en Bourse). EDF n'est plus le fleuron de l'industrie française qu'elle a été et doit faire face à un mur d'investissements colossaux de plusieurs dizaines de milliards d'euros dans les prochaines années, pour lesquels les provisions sont insuffisantes (maintenance des centrales, sauvetage d'AREVA, EPR britanniques, démantèlement des centrales en fin de vie).

AU cœur de la crise, Emmanuel Macron livre son analyse : le problème d'EDF consisterait en un compromis social trop généreux en faveur des salariés. On retrouve là sa logique habituelle :les problèmes d'une entreprise, quel que soit le secteur, ne peuvent provenir que d'un manque de compétitivité-coût, non d'un problème de compétitivité-produit ou de spécialisation. Réflexion pour le moins étrange lorsqu'on connaît le marché du nucléaire et l'histoire d'EDF.

Le nucléaire : augmentation des coûts et perte de débouchés.

Le problème d'EDF est bien plus complexe qu'une affaire due à une hausse trop généreuse des salaires. Il s'inscrit de manière plus générale dans la mauvaise santé de la filière nucléaire au niveau mondial et dans les choix stratégiques erronés de l'entreprise.
Le problème de la filaire nucléaire se situe avant tout dans le manque de débouchés. En France, les parts de marché à conquérir sont très faibles, pour ne pas dire inexistantes : 77% de la production d'électricité provient déjà du nucléaire. En Europe, les objectifs en matière d'énergies renouvelables sont ambitieux (27% de renouvelable dans la part de consommation d'énergie finale en 2030, contre 16% actuellement) et laisse peu de place au nucléaire. Enfin, les Etats-Unis se sont tournés vers le gaz de schiste . Restent certains pays émergents intéressés par l'achat de réacteurs nucléaires, comme la Chine ou les Emirats arabes unis, mais le monde est loin de la dynamique connue ces trente dernières années. Les changements structurels dans la production d'énergie restreignent la place de l'énergie nucléaire, surtout depuis l'écho retentissant de l'accident de Fukushima au Japon.
Au moment où la filière nucléaire est en perte de vitesse, EDF choisit de s'engager dans la construction de réacteurs nucléaires de troisième génération très puissants, les EPR. Ce choix se fait dans un contexte où la France fait face à une surcapacité de production d'électricité et où les engagements européens en termes d'efficacité énergétiques risquent de comprimer encore plus la demande. Les projets pharaoniques et les surcoûts des chantiers pourraient faire de cette erreur d'évaluation une bévue fatale.L'EPR de Flamanville, par exemple, représente un véritable gouffre financier : son coût total a été réévalué à 8,5 milliards d'euros en 2014 contre 3,3 milliards en 2005 !
Le surcoût et le retard d'achèvement fragilisent considérablement la crédibilité de l'EPR à l'export. Pourtant EDF décide de se lancer dans un nouveau chantier avec la construction de deux EPR à Hinkley Point, au Royaume-Uni. Un projet de 22 milliards d'euros dans lequel EDF s'engage à assumer presque 70% du projet, soit 15 milliards d'euros. Or, au regard de l'expérience de Flamanville , rien n'indique que le coût sera définitif et il est important de rappeler que la dette de l'énergéticien dépasse les 30 milliards d'euros. Cependant, Emmanuel Macron défend ce projet bec et ongles.

EDF : de l'Etat stratège à l'Etat pantouflard...

L'échec d'EDF découle également de la libéralisation du secteur de l'énergie impulsée par la Commission européenne dans les années 1990, visant à donner plus de pouvoir au marché et moins à la puissance politique. Or, l'énergie que nous consommons aujourd'hui est le résultat de choix politiques qui ont donné naissance à de grandes entreprises publiques : EFD, Engie (ex-GDF-Suez), Areva et Total.Ces entreprises, appelées généralement "opérateurs historiques", se sont développées dans un environnement non concurrentiel puisqu'il s'agissait de sociétés publiques en situation de monopole. Aujourd'hui encore, l'Etat est actionnaire d'EDF, d'Engie et d'Areva.
Mais, durant la décennie 1990, la commission européenne demande aux Etats membres de libéraliser des pans entiers de l'économie, le but étant de casser les monopoles verticalement intégrés, jugés inefficaces, afin de faire jouer la concurrence. EDF est donc obligée, de l'amont à l'aval, d'opérer une séparation juridique entre ses activités (création d'ERDF et de RTE) . L'Etat stratège, opérant un pilotage des différentes entreprises de l'énergie, laisse peu à peu la place à un Etat pantouflard, gardant l'actionnariat par sécurité mais sans imposer sa vision à l'entreprise.Désormais les choix de l'Etat sont remplacés par ceux du marché. Cette absence de pilotage a eu des effets négatifs sur le positionnement de nos énergéticiens et entraîné la mise en concurrence directe de nos deux champions du nucléaire (Areva et EDF), qui cherchaient mutuellement à se prendre des parts de marché alors que leurs activités étaient initialement bien définies comme complémentaires.
Le problème d'EDF est donc bien plus complexe qu'une simple question de coût du travail. Il est à chercher dans les erreurs stratégiques des dirigeants de l'entreprise et des gouvernements successifs , dans les chamboulements mondiaux des productions d'énergie et dans le mode de régulation de nos grands énergéticiens. Dans ce contexte, comment Emmanuel Macron peut-il suggérer que les avantages sociaux du personnel sont responsables des difficultés de l'entreprise ?Au regard des investissements colossaux dans ces chantiers démesurés aux résultats incertains, comment peut-il estimer que la solution serait de rogner sur les acquis des salariés ?

Face à cette crise, mieux vaudrait réfléchir à une stratégie gagnante pour EDF, analyser les marchés de l'énergie pour positionner l'entreprise sur des secteurs porteurs. Les parts de marché à prendre dans les renouvelables sont importantes en Europe et même dans le monde. L'Etat français, encore actionnaire majoritaire, devrait pousser EDF dans ce secteur, d'autant qu'il n'existe pour le moment aucune major du renouvelable dans le monde.
Mais, pour renouer avec un Etat stratège efficace, encore faut-il qu'il y ait des stratèges dans l'Etat !










Bientôt pour le billet 13/14 Cordialement.
JPL

Ajouter un commentaire

Le code HTML est affiché comme du texte et les adresses web sont automatiquement transformées.

Fil des commentaires de ce billet